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道法自然 , Dōhō Shinnen : Le sens d’une Voie est d’être naturel
Tiki Shewan et Pascal Krieger nous ont gratifié d’un stage riche en réflexions et enseignements autour d’une discussion entre aikidō sur le thème 道法自然, Dōhō Shinnen ou Dōhō Jizen : Le sens d’une Voie est d’être naturel.
Les intervenants
Malcolm Tiki Shewan et Pascal Krieger avaient fait un pari courageux : faire un stage à deux voix et trois disciplines, aikidō, jōdō et calligraphie, sur le thème à priori abscons 道法自然, Dōhō Shinnen ou Dōhō Jizen : Le sens d’une Voie est d’être naturel. Heureusement, tout s’éclaire rapidement.
Calligraphie et styles de pratique
Sur un mur étaient affichés quatre calligraphies, œuvres de Pascal Krieger lui-même, toutes présentant 道法自然. Pour mieux comprendre ce qui suit, jeter un œil à cet article de Wikipedia sera sans doute utile.
La première calligraphie était en style kaishō, chaque caractère étant tracé trait à trait, en levant le pinceau entre chaque trait et en prenant de l’encre entre chaque caractère. En aikidō, cela correspond à l’apprentissage de la technique, que l’on exécute un mouvement parès l’autre, en soignant le placement et les directions. D’après Tiki Shewan, c’est ce que l’on attend aux premier et deuxième dan.
La deuxième calligraphie est en style gyushō, où plusieurs traits peuvent être groupé en un geste unique. C’est ce qui se produit lorsque la technique étant formellement mâitrisée, on peut chercher un mouvement fluide et sans a-coups, devant caractériser la pratique à partir de l’obtention du deuxième dan.
La troisième calligraphie est réalisée dans le style sōshō, où l’ensemble de la calligraphie est tracée d’un seul souffle et d’une seule prise d’encre. Les caractères deviennent difficilement déchiffrables sauf pour l’initié, et il n’en ressort de l’essence, et leur mise en relation dans une seule expression. C’est l’aboutissement de la technique, ce que nous présentent les pratiquants les plus anciens.
Tiki et Pascal nous expliquent qu’il n’y a pas de véritable hiérarchie entre ces styles : au fur et à mesure que l’on va vers un style plus fluide, cela améliore la qualité de notre kaishō, notre capacité à démontrer les techniques en les détaillants. Mais alors, comment se fait-il que les maîtres de passages montret si souvent des techniques presque invisibles, semblables à une calligraphie sōshō ? Tiki souligne qu’il y a là un malentendu. Le maître japonais vient rarement en France pour enseigner. Il vient démontrer son art, montrer ce que peut être un aikidō accompli. Il n’est pas dans une perspective d’enseignement, mais de proposition : il nous invite à venir chez lui, pratiquer tout cela trait à trait pendant vingt ans. C’est alors qu’il importe d’avoir un encadrement solide, capable à la suite du stage de faire travailler pas à pas les techniques démontrées avec tant de finesse.
道法自然, Dōhō Shinnen
Le contenu même de la calligraphie demande à être expliqué pour comprendre le thème du stage :
道 : michi, ou dō. Ce caractère est celui présent dans aikidō (合気道), il est composé d’une clef évoquant le cou (首), qui en japonais désigne la tête ou la personne dans son ensemble, et de la clef du chemin. Le premier élément est lui-même composé d’un œil (目) avec quelques cheveux pour figurer la tête.
法 : hō, désigne le principe, la loi, la méthode. Il est composé de la clef de l’eau (水, simplifié en les trois traits de la partie gauche), et du caractère 去, qui signifie « quitter » ou « le passé ». Le principe est donc ce qui coule du passé au présent et d’une chose à l’autre. C’est le même caractère que dans 呼吸法, kokyū-hō.
自 : ji, shi, sert à se désigner soi-même. Comme dans le cas du premier caractère, il est composé de l’œil, avec cette fois-ci une unique mèche.
然 : zen, nen désigne l’état naturel d’une chose. Il est formé du caractère de la lune (月), de celui du chien (犬) et de la clef du feu (火, simplifiée en quatre traits en bas).
L’absence de liens grammaticaux explicite en chinois (et dans les expressions japonaises composées uniquement de caractères chinois) oblige à interprêter pour traduire, produisant une richesse de sens issue de la confrontation des significations des caractères et de leurs clefs constitutives. À un premier niveau, Dōhō Jizen signifie que lorsqu’on suit une voie martiale, on doit être naturel, et rechercher des principes inscrits dans la nature des choses. Il n’y a donc pas de mystère à chercher, ni de secrets ou de trucs. Il faut chercher soi-même et en soi-même les lois naturelles qui nous régissent, ou encore de chercher sa propre nature.
Je vous passe les démonstration éblouissantes faites par les deux intervenants, ainsi que la liste des techniques : il faut être là pour le voir.
Quelques autres éléments de réflexions méritent cependant d’être mentionnés.
Jōdō et aikijō
Les armes en aikidō peuvent être utilisées de deux manières différentes :
Pour montrer des applications des mêmes principes qu’à mains nues. Les armes sont alors avant tout des objets éducatifs servant à illustrer la similitude des principes. Le bon maniement de l’arme est secondaire.
L’étude de l’arme pour elles-mêmes. Il y aura alors beaucoup de points communs avec les autres écoles d’armes.
Souvent, le côté éducatif a été favorisé au détriment de la connaissance de l’arme en elle-même. Ainsi, la confusion naît de la non-distinction de ces deux aspects. Souvent, l’enseignant défend avec bonne foi que la technique se fait de la même manière avec une arme qu’à mains nues, faute de savoir manier l’arme, ce qui lui permettrait de comprendre que la forme doit être différente.
Dans le cas du jō, il est issu en aikidō de la lance (Hozo in ryu et Kashima shinto ryu), ainsi que de l’art de la baïonette. Le Fondateur supposait souvent que le jō était une lance, mais dans d’autres situations il présentait des mouvements issus des dances sacrées du shintō, réalisées avec un arc.
Pascal Krieger : Pour le jōdō, il s’agit d’une arme proche du sabre. Le fondateur mythique de l’école shinto muso ryu est Muso Gonnosuke, samouraï qui a fameusement affronté deux fois Miyamoto Musashi, inventant le jō dans l’intervalle. Muso Gonnosuke est donc un bretteur de formation, et il emploie le jō comme un sabre, ce qui explique la recherche du ha su ji. Contrairement à l’aikidō où le jō figure la lance, le jō du jōdō a été employé comme arme de plein droit. Comme elle est faite de bois et non d’acier tranchant, le placement des coups prend alors une importance capitale.
Le jō présente deux avantages qui lui permettent de s’opposer au sabre : une plus grande longueur (de 20 centimètres par rapport au bokken, lui-même long au regard de nombreux sabres historiques) et la possibilité d’utiliser les deux extrémités. Taillé dans un bois de bonne qualité, un jō rompt difficilement, mais peut fausser ou courber une lame d’acier.
L’école Shinto Muso Ryu propose 64 kata répartis en sept séries. La première série est totalement omote, représentative du kaishō, avec des mouvements explicitement introduits pour empêcher le pratiquant d’aller vite. La deuxième série repose sur les même principes, mais est plus liée. Dans l’exécution de la troisième, très rapide et fluide, le pratiquant doit être « en feu » pour élmiminer les impuretés. La quatrième série inclut ura et met l’accent sur le kokyū, en repartant à vitesse lente. La cinquième est plus fluide, et la sixième conduit à une seconde ébullition. La septième permet le retour au calme, et on recommence. Il existe en outre cinq techniques secrètes, qui ne sont montrées qu’après de longues années de pratique, une à la fois et à deux ans d’écart chaque fois. Il s’agit en fait de mouvements très simples, dont certains sont montrés au débutant dès la première séance, mais il n’est pas alors capable de comprendre la valeur de ce qui lui est montré. La légende veut qu’il s’agisse des cinq techniques originelles de Muso Gonnosuke, tout le reste n’étant qu’une méthode pédagogique pour parvenir à la compréhension de ces techniques.
間合, le ma ai
Ce concept est souvent mal interprêté. Ma ai s’écrit avec deux caractères, 間合. Le premier est formé de la porte (門) et du soleil au milieu (日). La porte figure la maison, le chez soi, ce qui est le plus proche de l’homme, alors que le soleil qui filtre par la porte représente l’univers, ce qui est le plus grand concevable par l’homme. Ce caractère représente donc toute la distance entre l’infiniment proche et l’infiniment lointain. Le second caractère est le ai de aikidō. Ma ai met donc en harmonie toutes les distances. En termes martiaux, Chiba sensei définit le mai ai comme la capacité à atteindre l’adversaire sans qu’il puisse faire de même. Pour Arikawa sensei, quelqu’un maîtrisant le mai ai et le reishiki (la relation avec l’environnement, y compris l’étiquette) n’a besion de rien d’autre.
Au sujet de l’étiquette, il faut se rappeler que dans le cadre d’une société armée, le calme des relations est indispensable, car tout conflit dégénère rapidement.
Pragmatiquement, la gestion du mai ai est différente d’une fédération à l’autre. Cette différence repose sur deux conceptions correctes, transmises différemment. Ce ce que vont illustrer une série d’exercices où les pratiquants partent sabre à la ceinture, l’un essaye d’attaquer l’autre tandis que l’autre cherche seulement à fuir. Ces exercices mettent en évidence plusieurs seuils de distance :
Le tō-ma (遠間), distance lointaine. Il correspond à trois longueurs de tatami. C’est dans le Japon féodal la distance minimale de salut entre inconnus. À cette distance, il est pratiquement impossible de développer avec succès une attaque-surprise, même lors d’un salut. Il s’agit également de la distance du premier salut lros de la réception des diplômes.
Le chu-ma (中間), distance médiane. Il correspond à deux longueurs de tatamis. C’est l’extrême limite de la distance permettant de réagir à une attaque surprise, à condition d’être sur ses gardes. Il s’agit de la distance d’engagement, à laquelle on se met en garde. Si les deux partenaires avancent et coupent, ils sont au contact. C’est le point de non-retour de l’affrontement.
Le chikama (近間), distance proche. Il correspond à la distance à laquelle aucun ne peut toucher l’autre d’un seul geste. Les pointes de bokken ne se touchent pas (contrairement à ce qu’on voit souvent). L’idée que les pointes doivent se toucher vient d’une mauvaise observation du kendō. Certes dans leur cas les pointes se croisent, mais le shinai de kendō est nettement plus long que le bokken.
L’uchima (内間), distance interne. On est alors dans la sphère de l’autre, en mesure de la couper.
À mains nues, les distances sont peu ou prou les mêmes. Normalement, tout exercice se commence par un salut à trois tatamis, suivit d’une traversée de toutes ces distances. Le mouvement se déroule alors dans le moment où uke franchit la limite entre chikama et uchima. À la FFAAA, l’attaque part d’une distance chikama, uke franchissant la distance. À la FFAB, on propose de ne pas laisser à uke le choix de la distance, et tori impose son propre ma ai.
Les deux conceptions sont correctes et doivent être maîtrisées.
Voilà pour un aperçu rapide d’un stage très riche en considérations.
Pour approfondir :
En savoir plus sur le jōdō
Article de Wikipedia sur la calligraphie
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