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10 mars 2009
Mathieu Perona

Sempai, dohai, kohai

Les relations hiérarchiques dans un club d’aikido

Les relations hiérarchiques dans une communauté de bénévoles ne sont jamais faciles à gérer. Un dojo d’aikido constitue une communauté un peu particulière. D’une part, l’étiquette repose sur les relations traditionnelles en vigueur dans la société japonaise. D’autre part, les enseignants y occupent une position particulière (voir cet article). Troisièmement, en France, les clubs sont le plus souvent assis sur la base d’une association, ce qui implique une dose plus ou moins importante de fonctionnement démocratique. Tout cela crée une imbrication de hiérarchies qui ne sont pas toujours faciles à gérer.

Je vais commencer par parler des relations traditionnelles, puis de la place des enseignants. Enfin, j’évoquerai les contraintes propres à la vie associative.

Sempai, dohai, kohai

Dans la société japonaise dans son ensemble, l’élève ou le salarié plus ancien est le ’’sempai’’ (先輩), qui joue un rôle de tuteur pour le ’’kōhai’’ (後輩), tandis que des personnes de même ancienneté sont ’’dohai’’. Dans le cadre des arts martiaux comme dans les entreprises ou les administrations, les ’’sempai’’ assurent la formation des nouveaux arrivant, les forment aux us et coutumes locales, leur expliquent le fonctionnement interne de leur structure.

Dans le cadre de l’aikido, N. Tamura définit la relation entre ’’sempai’’ et ’’kohai’’ comme suit :
Si l’esprit de gratitude [d’un sempai] envers un kohai s’exprime par cette seule pensée « Merci, de m’avoir permis de bien travailler aujourd’hui », le kohai sera heureux [ ;] de même si [le kōhai] remercie le sempai de son enseignement, [celui-ci] sera content. […] Il est grotesque d’avoir à dire « Respectez-moi car je suis votre sempai » […]. Le respect envers le sempai ne doit pas être provoqué, le kohai doit tout naturellement avoir envie de respecter le sempai. Le sempai, lui, prend soin du kohai car le kohai occupe la place qui est la sienne et mérite par là que l’on s’occupe de lui [1].

Il ajoute que la nature du travail avec un partenaire dépend du statut relatif du partenaire avec lequel on travaille. Ainsi, le rôle d’un ’’sempai’’ est de nous permettre d’exprimer pleinement notre technique, éventuellement de nous montrer par où notre technique pêche et de nous permettre de l’améliorer. Du point de vue du ’’sempai’’, il s’agit de traverser une corde raide entre la complaisance et l’obstruction. Le travail avec un ’’dohai’’ est l’occasion de prendre la mesure de notre technique et de travailler les deux rôles de l’aite (’’tori’’ et ’’uke’’) à plein régime technique et physique. Enfin, le travail avec un ’’kohai’’ nous oblige à revenir sur notre propre pratique afin de mieux l’expliquer de nous oblige à mettre dans le travail d’ukela souplesse et la fluidité qui manquent souvent aux débutants.

J’ai dit plus tôt que le statut de ’’sempai’’ ou de ’’kohai’’ était lié à l’ancienneté. On voit dans la description que j’en donne que cela n’est pas totalement vrai pour l’aikido, puisqu’ils recoupent également une dimension technique. Ainsi, il peut se produire que des pratiquants plus récents, du fait d’une pratique plus intensive, acquièrent une compétence technique supérieure à des pratiquants plus anciens. Il faut alors trouver dans le club un ’’modus vivendi’’ pas toujours évident qui fasse sa place à la fois à l’expérience des plus anciens, auxquels l’expérience confère plus de recul et une vision souvent plus large, et à la qualité technique des plus jeunes. C’est là une des fonctions les plus délicates de l’enseignant.

Et l’enseignant dans tout ça ?

Normalement, l’enseignant jouit d’une certaine pré-éminence par rapport à ces relations. Il est le référent, en tant qu’il transmet lui-même l’enseignement reçu d’autres enseignants plus avancés et en tant qu’il a (théoriquement) été désigné par ces mêmes enseignants comme étant la personne devant effectuer cette transmission. De ce fait, si le statut relatif de deux pratiquants peut être peu clair, l’identité et la place de l’enseignant sont supposés être connaissance commune. Sans avoir nécessairement le dernier mot, l’enseignant impose de par sa fonction un point technique à travailler, un type de travail particulier que tous les pratiquants à son cours sont tenus de respecter.

Souvent, la position d’enseignant se double de celle de ’’sempai’’ de l’ensemble du club (en tant que pratiquant le plus ancien) et de référent technique (pratiquant le plus avancé techniquement). Avec le chevauchement des générations, ce n’est toutefois plus le cas général, et les jeunes enseignants doivent composer avec des pratiquants plus expérimentés ou plus avancés techniquement, parfois plus rétif à la remise en cause de leurs acquis techniques par un pratiquant plus jeune.

Une chose, cependant, est à éviter systématiquement : le cours dans le cours. Quelle que soit sa propre compétence technique, il faut éviter de se substituer à l’enseignant ou d’endosser le rôle d’assistant de l’enseignant si ce dernier ne l’a pas explicitement demandé. En faisant cela, non seulement on se prive d’une occasion de travailler ce que propose l’enseignant, mais même avec la meilleure volonté, on induit surtout de la confusion dans l’esprit du ’’kohai’’ dont on essaye de prendre soin. Ceci dit, il est parfois difficile de faire la part entre le rôle de ’’sempai’’ et le moment où on commence à se substituer à l’enseignant.

Le club et l’association

Si dans la pratique quotidienne, le cadre du dojo neutralise la plupart des hiérarchies sociales en vigueur à l’extérieur ((voir cet article), celles-ci peuvent revenir en force dans le cadre de la structure associative qui fonde la structure de la plupart des clubs français. Si les modalités des statuts d’une association loi 1901 sont très libres (pouvant, je crois, autoriser des positions à vie ou un fonctionnement uniquement par cooptation) et peuvent de ce fait reproduire la hiérarchie traditionnelle d’un dojo, il n’en va pas de même si l’association veut obtenir l’agrément « jeunesse et sport ». Or, ce dernier est actuellement discriminant pour l’accès aux salles de sport publiques, condition nécessaire de fonctionnement pour les clubs ne disposant pas de leurs propres locaux. Un fonctionnement démocratique, y compris une équitable représentation des licenciés mineurs, est un des critères essentiels de l’agrément. En outre, pour éviter les conflits d’intérêt, les enseignants rémunérés sont écartés du bureau (ils ne peuvent être ni président, ni trésorier). Une troisième hiérarchie, fondée sur la disposition à donner du temps à l’association, apparaît alors, hiérarchie qui n’a aucune raison de recouper les précédentes.

Tout cela n’est d’ailleurs pas nécessairement inscrit dans le fonctionnement formel de l’association. Ainsi, une personne ne remplissant aucun mandat au sein de l’association pourra avoir une action administrative importante (tenue des fichiers des adhérents, recueil des demandes de licences et des cotisations, tenue du site web), et être reconnue pour cela.

Différents lieux, différentes hiérarchies

On voit aisément comment tout cela peut créer des tensions au sein d’un club. Il n’existe pas à ma connaissance de recette miracle pour gérer ces recoupements, les réactions sur ce sujet étant par trop individuelle. En revanche, il me semble qu’il faut rappeler un principe général de fonctionnement qui nous est sans doute moins naturel qu’aux Japonais : la variation des hiérarchies en fonction de la circonstance. Ainsi, l’étiquette impose de considérer comme hiérarchiquement supérieur l’enseignant en train de faire le cours et d’essayer de faire ce qu’il demande, quels que soit notre propre opinion sur la pertinence de l’exercice demandé. C’est en dehors du cadre du cours proprement dit que les autres pratiquants peuvent exprimer leurs réserves sur un point ou sur un autre. Réciproquement, en matière administrative, il est du devoir de l’enseignant de n’être qu’un conseiller des représentants élus de l’association

Notes

[1’’Aikido — Étiquette et transmission’’, Nobuyoshi Tamura, éd. Les Éditions du Soleil Levant, 1991

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Commentaires

4 Messages

  • Gérard DUQUESNE 10 avril 2009
    16:03

    Bonjour,
    Je suis moi-même enseignant en banlieue parisienne et pratique depuis 27 ans (après une petite interruption de 14 ans...).
    Etant devenu "autonome" je ne suis plus relié à la FFAB.
    "J’anime" en parallèle le site Web de mon dojo.
    Je suis tombé par hasard sur votre excellent article ici présent, et souhaitant justement créer une page sur les sujets que vous évoquez (notions Sampai/Dohai/kohai et "contraintes associatives"), je me permets de vous demander l’autorisation de le reproduire, en vous citant bien entendu.
    Vos appréciations et vos commentaires rejoignent étonnamment mes analyses et je ne saurais les exprimer mieux que vous ne le faites.
    Je vous remercie bien vivement par avance.
    Cordialement.

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    • Mathieu Perona 10 avril 2009
      16:12

      Bonjour,

      La licence de ce site vous autorise à reprendre ce texte à condition d’en citer la source (mon nom et l’adresse de la présente page), et que le texte soit sur votre propre site sous une licence compatible (voir le lien du petit pictogramme CC en bas de la page).

      En tout état de cause, c’est gentil de votre part de demander explicitement l’autorisation (tout le monde ne le fait pas). Je serais très honoré que vous repreniez ce texte : son but est d’aider les pratiquants à trouver leur place au sein de la double structure dojo-association, et si ces quelques idées peuvent servir, j’en serais très heureux.

      Bien cordialement

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      • 13 décembre 2009
        19:11

        Je me permet de faire la même demande : la permission d’afficher un lien vers cette page sur un forum, afin qu’elle profite à des pratiquants. Merci d’avance.

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        • Mathieu Perona 13 décembre 2009
          20:22

          Aucun problème, je suis au contraire très honoré de pouvoir vous faire la même réponse qu’à l’auteur du message précédent : allez-y !

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