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Par rapport à d’autres arts martiaux, l’aïkido ne présente pas de force puissante qui unifierait et harmoniserait les pratiques. Dans les écoles anciennes (koryus), l’intégrité de la pratique était assuré par un système très restrictif de transmission. Seuls quelques élèves étaient formés, et seuls un ou deux recevaient l’autorisation de transmettre. Dans beaucoup d’arts martiaux dits modernes (gendai budos, fondés après la restauration Meiji, à la fin du XIXe siècle), la place centrale de la compétition sert de force homogénéisatrice, sélectionnant les formes et techniques les plus efficaces dans le cadre des règles de la compétition. Rien de tout cela n’existe en aïkido.
Dans son parcours, le pratiquant d’aïkido se rend rapidement compte qu’il existe une multiplicité de formes d’une même technique. Les nombreuses vidéos disponibles sur la Toile nous montrent que cette multiplicité existe non seulement dans notre pratique quotidienne, mais aussi parmi les plus hauts gradés, et dans la pratique du Fondateur lui-même au cours du temps. Si le Fondateur se moquait lui-même du penchant se ses élèves à chercher chacun son aïkido avant de bien maîtriser celui qu’il avait lui-même conçu, c’est qu’il était bien conscient que son mode d’enseignement et de transmission ne présentait plus le cadre unificateur des budos qu’il avait appris dans sa jeunesse.
Il me semble que c’est à la lumière de cette conscience qu’il faut regarder deux décisions structurantes prises par Ueshiba dans la diffusion de l’aïkido :
Pour ma part, je comprends ces décisions comme un abandon délibéré de la recherche d’uniformité ou d’homogénéité. Les élèves qu’il a envoyés aux quatre coins du monde avaient chacun vu une période précise et différente de l’évolution de la pratique du Fondateur : leur pratique n’était au départ pas homogène, et il était évident que la distance et l’isolement conduiraient chacun d’entre eux à développer une version de l’aïkido qui lui serait propre.
À un art pur, homogène, réservé à quelques-uns, le Fondateur a je crois sciemment préféré un art diffusé largement, au prix - mais en est-ce vraiment un ? - d’une grande diversité des pratiques [1].
Je déduis de ce qui précède qu’il est normal qu’il existe une grande variété de formes techniques, reflétant à la fois le parcours martial de l’instructeur et ses capacités et limites physiques. Or, nous ne connaissons en général ni l’un ni l’autre. Cela doit nous rendre particulièrement prudents et modestes dans l’évaluation de ce que nous voyons. Il n’est pas rare que des formes me semblent au premier regard étranges ou même d’une efficacité douteuse se révèlent, quand je les subis, parfaitement convaincantes en termes de ressenti d’uke.
Deuxième conséquence immédiate, il va exister un grand nombre de variations des techniques, là encore selon les capacités physiques des pratiquants, et les points sur lesquels l’enseignant met, consciemment ou non, l’accent. Nous devons donc éduquer nos yeux à percevoir ces nuances techniques, pour essayer de reproduire non pas ce que nous avons déjà appris à faire, mais la technique la plus proche possible de celle qui a été montrée. C’est pour moi un élément essentiel de l’apprentissage, sans lequel on passe à côté d’une grande partie de la richesse de l’aïkido. C’est pourquoi vous m’entendrez souvent dire à un partenaire « Ce que tu fais est juste, mais ce n’est pas ce que l’enseignant.e a montré ».
La perception de ces variations et de ces nuances est d’autant plus facile à acquérir que nous sommes exposés à des formes techniques différentes. C’est une des très grandes forces du PAC que d’avoir quatre enseignants aux parcours martiaux et aux physiques différents. À nous pratiquants d’en tirer le meilleur parti, en faisant attention à ce que chacun peut nous apporter. Là encore, cela dépend de nos propres physiques et de nos affinités [2]. Pour autant, nos quatre professeurs sont loin d’épuiser la diversité des formes de travail. Nous avons la chance de vivre dans une zone dense en pratiquants et enseignants, et n’avons pas à parcourir une centaine de kilomètres pour trouver d’autres enseignants au travail motivant.
C’est pourquoi il faut, autant que nos disponibilités le permettent, profiter de l’offre de stages proposée par le club et par la fédération. Voir d’autres formes, d’autres personnes, est utile à toutes les étapes de la pratique. Oui, c’est toujours un peu déroutant : des partenaires que nous ne connaissons pas, des formes moins familières... C’est aussi vrai pour les gradés, qui doivent, pour en tirer parti, accepter de sortir de leur zone de confort et se confronter à des formes qu’ils ne connaissent pas, et retrouver l’esprit du débutant. Comme me l’a fait remarquer François lors de la rédaction de cet article, la technique en aïkido n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’arriver à autre chose — cet autre chose variant lui aussi d’un pratiquant à l’autre. Raison de plus, à mon sens, de ne pas rester fixé dans son répertoire technique, et d’essayer tous les chemins qui peuvent nous être présentés.
[1] Pour être complet, il faudrait préciser aussi que même des pratiquants ayant des formes de travail très similaires peuvent différer dans leurs options pédagogiques. Du coup, les pratiques de leurs élèves peuvent apparaître éloignées.
[2] Dans mon cas, Arnaud est mon professeur depuis maintenant près de 18 ans. Ses formes constituent donc le fondement de mon aïkido. Pour autant, je suis physiquement plus proche de Matthieu, et par conséquent ses formes techniques me paraissent d’une plus grande évidence, car elles correspondent bien à mes propres capacités physiques. Le travail d’Agnès me surprend souvent, et je suis captivé par sa capacité à agir au moment exact où je me trouve dans un temps mort, ce qui m’empêche d’opposer la moindre résistance. J’ai aussi énormément appris de Volodia sur les chutes - et je n’ai pas encore bien saisi plusieurs spécificités de son travail.
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